Si la banquise de l'océan arctique (pôle nord) connaît une diminution continue et impressionnante depuis plus de 40 ans de relevés, il est plus difficile de statuer sur la glace de mer présente au pôle sud, en Antarctique. Cependant, les dernières années montrent une réduction record de sa superficie
Dans l'hémisphère sud, les saisons sont opposées, c'est à dire que le printemps débute lorsque l'automne arrive dans l'hémisphère nord. Autrement dit, mi-septembre correspond au maximum d'étendue de glace de mer dans l'hémisphère sud et en février pour le minimum.
De plus, contrairement à l'Arctique, les vents et les courants océaniques spécifiquement liés à l'océan Austral et à l'Antarctique ont une forte influence sur l'étendue de la banquise. En effet, la glace de mer dans l'Arctique est entourée de terres, tandis que la glace de mer dans l'Antarctique n'est entourée que d'océan et peut donc s'étaler plus librement.
Dans certaines régions, la banquise antarctique fond complètement en été. En hiver, le climat froid dans tout l'Antarctique favorise la formation rapide de nouvelle banquise. À son maximum, la couverture de glace de mer dans l'Antarctique est généralement comprise entre 18 et 20 millions de kilomètres carrés. En été, elle diminue à environ 3 millions de kilomètres carrés, affichant une variabilité annuelle beaucoup plus naturelle que la glace dans l'Arctique.
De plus, la banquise antarctique est beaucoup plus mince que son homologue arctique et n'apparaît que de façon saisonnière – ce qui explique pourquoi, pendant très longtemps, son évolution a été considérée comme impossible à prévoir au-delà de quelques jours. Ces dernières années, cependant, la science a découvert plusieurs mécanismes permettant de prédire le développement de la glace de mer à des échelles de temps saisonnières, une information précieuse pour la navigation.
La banquise antarctique régresse quelque peu d'année en année
La banquise antarctique affiche une tendance à la baisse de 2,6 % par décennie, avec des années 2022 et 2023 qui ont connu des records inquiétants.
En
février 2022, la banquise antarctique a atteint une étendue minimale record (depuis le début des observations satellites en 1979) à cause d'une vague de chaleur inédite. "
Étonnamment, l'étendue de la banquise le 20 février 2022 était de 2 128 000 km2, la plus petite en plus de 40 ans d'observations", a déclaré le professeur Hironori Yabuki du NIPR. "
C'est aussi une valeur minimale (73,3 %) par rapport à l'étendue minimale moyenne de 2 902 000 km2 pour chaque année de 2012 à 2021."
Et pourtant,
Ffévrier 2023 a battu le record de 2022 : la fonte a progressé depuis décembre 2022, notamment dans les mers de Bellingshausen et d'Amundsen dans l'ouest de l'Antarctique ; la première est pratiquement libre de glace.
C'est également là que se trouve actuellement le navire de recherche Polarstern.
Selon le chef de l'expédition et géophysicien de l'Institut Alfred Wegener (AWI), le professeur Karsten Gohl, qui visite la région une 7e fois depuis 1994 : "
Je n'ai jamais vu une situation aussi extrême et sans glace ici auparavant. Le plateau continental, une zone de la taille de l'Allemagne, est désormais totalement libre de glace. Bien que ces conditions soient avantageuses pour notre travail de terrain à bord des navires, il est toujours troublant de considérer la rapidité avec laquelle ce changement s'est produit."
Les analyses de l'étendue actuelle de la glace de mer, menées par l'équipe du Sea Ice Portal, montrent que, pour tout le mois de janvier 2023,
la glace était à son étendue la plus basse jamais enregistrée pour la période de l'année depuis le début des relevés en 1979 ! La valeur moyenne mensuelle était de 3,22 millions de kilomètres carrés, c'est 478 000 kilomètres carrés (une superficie comparable à la taille de la Suède) en dessous du minimum précédent de 2017.
En février 2023, seulement 2,2 millions de km² de l'océan Austral était recouverts de glace de mer, soit 1,1 million de km² (34 %) de moins que la moyenne de février 1991-2020. Comme c'était déjà le cas en janvier 2023, il s'agissait de l'étendue la plus faible pour février dans l'ensemble de données satellitaires depuis 1979, nettement en dessous du précédent record de 2017 (28 % en dessous de la moyenne), selon les analyses de Copernicus.
2023 est la 8e année consécutive au cours de laquelle l'étendue moyenne de la glace de mer en janvier est inférieure à la tendance à long terme.
Etendue de la banquise antarctique mesurée par satellite depuis 1979Cette fonte intense pourrait s'expliquer par des températures de l'air inhabituellement élevées à l'ouest et à l'est de la péninsule antarctique, qui étaient d'environ 1,5 °C au-dessus de la moyenne à long terme. De plus, la circulation des vents dominants dans l'Antarctique a favorisé le retrait de la glace de mer mais aussi la fonte des plates-formes de glace, un aspect essentiel de la future élévation mondiale du niveau de la mer.
Une étude publiée en juin 2022 dans Communications Earth & Environment montre qu'une augmentation d'environ 30 % du SAM entraîne une perte nette de masse basale de 40 Gt par an (c'est-à-dire environ la moitié du changement de masse de la calotte glaciaire antarctique sur la période 1992-2011), avec de forts contrastes régionaux autour de l'Antarctique.
L'augmentation du Mode Annulaire Austral (SAM en anglais) pourrait influencer la fonte basale des plate-forme glaciaires. L'indice SAM est une mesure de la différence de pression atmosphérique entre les moyennes et hautes latitudes de l'hémisphère sud.
Cependant, les dernières décennies ont montré que la banquise arctique est sujette à une variabilité annuelle. Il faut donc rester prudent, les prochaines années nous éclairerons sur ces records inquiétants.
Un iceberg grand comme deux fois New-York se détache de la plate-forme glaciaire
Fracture de la plate-forme glaciaire de Brunt (Antarctique). 24 janvier 2023
Auteur : Lauren Dauphin / NASA Earth Observatory - Licence : DREn février 2019, une faille était découverte sur la majeure partie de la plate-forme glaciaire de Brunt en Antarctique. 4 ans plus tard, le 22 janvier 2023, la rupture attendue s'est produite, générant un nouvel iceberg (nommé Iceberg A-81 par le US National Ice Center) d'une superficie de 1 550 kilomètres carrés (environ deux fois la taille de New York).
La rupture a eu lieu le long d'une faille connue sous le nom de Chasm 1. Cette faille a commencé à se creuser dans les années 1970, suivi d'une période de dormance, puis a repris sa croissance en 2012. Elle a continué à s'allonger pendant près d'une décennie, progressant jusqu'à 4 kilomètres par an au début de 2019 pour finalement découper en deux le plateau glaciaire en 2023. Plusieurs facteurs peuvent avoir contribué à l'achèvement de la rupture : manque de glace de mer pour résister à la rupture, manque de formation de glace pour combler la faille.
La rupture (vêlage) des icebergs des plates-formes de glace fait partie d'un processus naturel et cyclique de croissance et de décomposition aux limites des calottes glaciaires. Au fur et à mesure que la glace descend de la terre et s'étend en mer, ces zones sont fragilisées par les tempêtes et les marées et voient leur épaisseur diminuer, ce qui les rend finalement plus susceptibles de former des fissures et de se détacher.
Retracer l'histoire de l'Antarctique
Nous disposons encore de peu d'informations sur l'histoire de l'évolution de l'Antarctique et de sa banquise.
Toutefois, les quelques documents historiques disponibles témoignent d'énormes changements. Par exemple, lors de l'été antarctique il y a 125 ans, le navire de recherche belge Belgica a été piégé dans la banquise massive pendant plus d'un an - exactement dans la même région où le Polarstern peut désormais opérer dans des eaux totalement libres de glace. Les photographies et les journaux de l'équipage du Belgica offrent une chronique unique de l'état des glaces dans la mer de Bellingshausen à l'aube de lèère industrielle, que les climatologues utilisent souvent comme référence de comparaison avec le changement climatique actuel.
Le dernier interglaciaire (il y a 120 000 ans) et un moment plus chaud du Pliocène (il y a environ 3,5 millions d'années) sont considérées comme des périodes analogues au climat de plus en plus chaud que nous connaissons. A ces époques, le réchauffement climatique était exclusivement dû aux changements progressifs de l'orbite terrestre, alors qu'actuellement les activités humaines, via les émissions massives de gaz à effet de serre, sont les principaux contributeurs au réchauffement climatique en cours.
Les informations tirées de l'histoire des calottes glaciaires sont destinées à aider à estimer la rapidité et l'ampleur de leur fonte lorsque des points de basculement sont franchis. Ainsi, les chercheurs utilisent des méthodes géophysiques et géologiques pour étudier les sédiments marins au fond de la mer, qui, en tant qu'archives des mouvements passés de la calotte glaciaire, contiennent des informations précieuses.
C'est l'objet de l'expédition Polarstern qui s'attache à mieux comprendre l'évolution géologique de la calotte glaciaire de l'Antarctique occidental, c'est-à-dire les glaciers massifs qui recouvrent le continent antarctique et qui alimentent les plates-formes de glace et donc la banquise.
Rappelons que la calotte glaciaire antarctique représente le plus grand contributeur potentiel à l'élévation globale du niveau des mers. Sa fonte complète entraînerait une augmentation du niveau moyen des océans de plus de 70 mètres.