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| | poésies choisies pour vous | |
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Auteur | Message |
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olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mar 19 Sep - 7:50 | |
| L'épée Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les épreuves (1866). Sonnet.
Qu'est-ce tranchant de fer souple, affilé, pointu ? Ce ne sont pas les flancs de la terre qu'il fouille, Ni les pierres qu'il fend, ni les bois qu'il dépouille. Quel art a-t-il servi, quel fléau combattu ?
Est-ce un outil ? Non pas ! car l'homme de vertu L'abhorre : ce n'est pas la sueur qui le mouille, Et ce qu'on aime en lui, c'est la plus longue rouille. « Lame aux éclairs d'azur et de pourpre, qu'es-tu ?
— Je suis l'épée, outil des faiseurs d'ossuaires, Et, comme l'ébauchoir aux mains des statuaires, Je cours au poing des rois, taillant l'homme à leur gré.
« Or, je dois tous les ans couper la fleur des races, Jusqu'à l'heure où la chair se fera des cuirasses, Plus fortes que le fer, avec le droit sacré. »
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mar 19 Sep - 15:03 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mer 20 Sep - 7:42 | |
| Le peuple s'amuse Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les solitudes (1869). Le poète naïf, qui pense avant d'écrire, S'étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire. Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant La gaîté des badauds qui va se déployant,
Pour un plat calembour, des loges au parterre, Il se sent tout à coup tellement solitaire Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui, Que, le front lourd et l'œil tristement ébloui,
Il s'esquive, s'il peut, sans attendre la toile. Enfin libre il respire, et, d'étoile en étoile, Dans l'azur sombre et vaste il laisse errer ses yeux. Ah ! Quand on sort de là, comme la nuit plaît mieux !
Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire En silence rouler sous les vieux ponts sa moire, Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau !
Ce deuil fait oublier ces rires qu'on abhorre. Hélas ! Où donc la joie est-elle saine encore ? Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois ? Quand rirons-nous le rire honnête d'autrefois ?
Ce ne sont aujourd'hui qu'absurdes bacchanales ; Farces au masque impur sur des planches banales ; Vil patois qui se fraye impudemment accès Parmi le peuple illustre et cher des mots français ;
Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ; Romans hideux, miroir de l'abjection seule, Commérage où le fiel assaisonne des riens : Feuilletons à voleurs, drames à galériens,
Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ; Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses, Un ridicule impie à l'affront des maris ; Spectacles où la chair des femmes, mise à prix,
Comme aux crocs de l'étal exhibée en guirlande, Allèche savamment la luxure gourmande ; Parades à décors dont les fables sans art N'esquivent le sifflet qu'en soûlant le regard ;
Coups d'archets polissons sur la lyre d'Homère, Et tous les jeux maudits d'un amour éphémère Qui va se dégradant du caprice au métier : Voilà ce qui ravit un peuple tout entier !
Bêtise, éternel veau d'or des multitudes, Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes Et complice du joug les y soumet sans bruit, Monstre cher à la force et par la ruse instruit
À bafouer la libre et sévère pensée, Règne ! Mais à ton tour, brute, qu'à la risée, Au comique mépris tu serves de jouet ! Que sur toi le bon sens fasse claquer son fouet,
Qu'il se lève, implacable à son tour, et qu'il rie, Et qu'il raille à son tour l'inepte raillerie, Et qu'il fasse au soleil luire en leur nudité Ta grotesque laideur et ta stupidité !
Molière, dresse-toi ! Debout, Aristophane ! Allons ! Faites entendre au vulgaire profane L'hymne de l'idéal au fond du rire amer, Du grand rire où, pareil au cliquetis du fer,
Sonne le choc rapide et franc des pensers justes, Du beau rire qui sied aux poitrines robustes, Vengeur de la sagesse, héroïque moqueur, Où vibre la jeunesse immortelle du cœur !
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Jeu 21 Sep - 7:43 | |
| L'épousée Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les vaines tendresses (1875). Elle est fragile à caresser, L'épousée au front diaphane, Lis pur qu'un rien ternit et fane, Lis tendre qu'un rien peut froisser, Que nul homme ne peut presser, Sans remords sur son cœur profane.
La main digne de l'approcher N'est pas la main rude qui brise L'innocence qu'elle a surprise Et se fait jeu d'effaroucher, Mais la main qui semble toucher Au blanc voile comme une brise ;
La lèvre qui la doit baiser N'est pas la lèvre véhémente, Effroi d'une novice amante Qui veut le respect pour oser, Mais celle qui se vient poser Comme une ombre d'abeille errante ;
Et les bras faits pour l'embrasser Ne sont pas les bras dont l'étreinte Laisse une impérieuse empreinte Au corps qu'ils aiment à lasser, Mais ceux qui savent l'enlacer Comme une onde où l'on dort sans crainte.
L'hymen doit la discipliner Sans lire sur son front un blâme, Et les prémices qu'il réclame Les faire à son cœur deviner : Elle est fleur, il doit l'incliner, La chérir sans lui troubler l'âme.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Colombine Administrateur
Messages : 122410 Age : 58 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Jeu 21 Sep - 10:07 | |
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| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Jeu 21 Sep - 13:53 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Ven 22 Sep - 7:35 | |
| Le rendez-vous Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les épreuves (1866). Sonnet.
Il est tard ; l'astronome aux veilles obstinées, Sur sa tour, dans le ciel où meurt le dernier bruit, Cherche des îles d'or, et, le front dans la nuit, Regarde à l'infini blanchir des matinées ;
Les mondes fuient pareils à des graines vannées ; L'épais fourmillement des nébuleuses luit ; Mais, attentif à l'astre échevelé qu'il suit, Il le somme, et lui dit : « Reviens dans mille années. »
Et l'astre reviendra. D'un pas ni d'un instant Il ne saurait frauder la science éternelle ; Des hommes passeront, l'humanité l'attend ;
D'un œil changeant, mais sûr, elle fait sentinelle ; Et, fût-elle abolie au temps de son retour, Seule, la Vérité veillerait sur la tour.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Dim 24 Sep - 7:36 | |
| Le réveil Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les solitudes (1869). Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange !), Je voudrais avant toi m'éveiller le matin Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange, Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.
J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine, Et, patient, rempli d'un silence joyeux, J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine, Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.
Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur, Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière, Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton cœur.
Oh ! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime, Celui qui poserait, au lever du soleil, Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même, Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil !
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Lun 25 Sep - 7:44 | |
| Les ailes Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les épreuves (1866). Sonnet.
Grand ciel, tu m'es témoin que j'étais tout enfant Quand par témérité j'ai demandé des ailes ; Convoitant de si bas les voûtes éternelles, Mes vœux n'altéraient pas ton calme triomphant.
Je me sentais mourir dans un air étouffant, Ciel pur ! et j'aspirais à des saisons nouvelles ; Et c'est ta faute aussi, puisque tu nous appelles Par ton sublime azur, par l'oiseau qui le fend !
Maintenant qu'épuisé, vaincu, je te proclame Trop vaste pour tenir tout entier dans mon âme, Pourquoi te venges-tu d'impuissantes amours ?
Et quel jaloux archange aux gaîtés malfaisantes M'a planté dans le dos ses deux ailes géantes Qui palpitent sans cesse en m'accablant toujours ?
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
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| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Lun 25 Sep - 14:30 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mar 26 Sep - 14:26 | |
| Les amours terrestres Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les vaines tendresses (1875). Sonnet.
Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes plu. Née au siècle où je vis et passant où je passe, Dans le double infini du temps et de l'espace Tu ne me cherchais point, tu ne m'as point élu ;
Moi, pour te joindre ici le jour qu'il a fallu, Dans le monde éternel je n'avais point ta trace, J'ignorais ta naissance et le lieu de ta race : Le sort a donc tout fait, nous n'avons rien voulu.
Les terrestres amours ne sont qu'une aventure : Ton époux à venir et ma femme future Soupirent vainement, et nous pleurons loin d'eux :
C'est lui que tu pressens en moi, qui lui ressemble, Ce qui m'attire en toi, c'est elle, et tous les deux Nous croyons nous aimer en les cherchant ensemble.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mer 27 Sep - 7:37 | |
| Les caresses Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les solitudes (1869). Les caresses ne sont que d'inquiets transports, Infructueux essais du pauvre amour qui tente L'impossible union des âmes par les corps. Vous êtes séparés et seuls comme les morts, Misérables vivants que le baiser tourmente !
Ô femme, vainement tu serres dans tes bras Tes enfants, vrais lambeaux de ta plus pure essence : Ils ne sont plus toi-même, ils sont eux, les ingrats ! Et jamais, plus jamais, tu ne les reprendras, Tu leur as dit adieu le jour de leur naissance.
Et tu pleures ta mère, ô fils, en l'embrassant ; Regrettant que ta vie aujourd'hui t'appartienne, Tu fais pour la lui rendre un effort impuissant : Va ! Ta chair ne peut plus redevenir son sang, Sa force ta santé, ni sa vertu la tienne.
Amis, pour vous aussi l'embrassement est vain, Vains les regards profonds, vaines les mains pressées : Jusqu'à l'âme on ne peut s'ouvrir un droit chemin ; On ne peut mettre, hélas ! Tout le cœur dans la main, Ni dans le fond des yeux l'infini des pensées.
Et vous, plus malheureux en vos tendres langueurs Par de plus grands désirs et des formes plus belles, Amants que le baiser force à crier : « Je meurs ! » Vos bras sont las avant d'avoir mêlé vos cœurs, Et vos lèvres n'ont pu que se brûler entre elles.
Les caresses ne sont que d'inquiets transports, Infructueux essais d'un pauvre amour qui tente L'impossible union des âmes par les corps. Vous êtes séparés et seuls comme les morts, Misérables vivants que le baiser tourmente.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Colombine Administrateur
Messages : 122410 Age : 58 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mer 27 Sep - 11:14 | |
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| | | Vevette17 Énergéticienne quantique
Messages : 38497 Age : 53 Localisation : charente maritime
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mer 27 Sep - 18:06 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Jeu 28 Sep - 7:23 | |
| René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Stances et poèmes (1865).
Les chaînes À découvrir sur le site https://www.poesie-francaise.fr/rene-francois-sully-prudhomme/poeme-les-chaines.php J'ai voulu tout aimer, et je suis malheureux, Car j'ai de mes tourments multiplié les causes ; D'innombrables liens frêles et douloureux Dans l'univers entier vont de mon âme aux choses.
Tout m'attire à la fois et d'un attrait pareil : Le vrai par ses lueurs, l'inconnu par ses voiles ; Un trait d'or frémissant joint mon cœur au soleil, Et de longs fils soyeux l'unissent aux étoiles.
La cadence m'enchaîne à l'air mélodieux, La douceur du velours aux roses que je touche ; D'un sourire j'ai fait la chaîne de mes yeux, Et j'ai fait d'un baiser la chaîne de ma bouche.
Ma vie est suspendue à ces fragiles nœuds, Et je suis le captif des mille êtres que j'aime : Au moindre ébranlement qu'un souffle cause en eux Je sens un peu de moi s'arracher de moi-même.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Jeu 28 Sep - 15:10 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Sam 30 Sep - 7:36 | |
| Les deux vertiges Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les épreuves (1866). Sonnet.
Le voyageur, debout sur la plus haute cime, À travers le rideau d'une rose vapeur, Mesure avec la sonde immense de la peur Sous ses genoux tremblants la fuite de l'abîme.
De ce besoin de voir téméraire victime, Du haut de la raison je sonde avec stupeur Le dessous infini de ce monde trompeur, Et je traîne avec moi partout mon gouffre intime.
L'abîme est différent, mais pareil notre émoi : Le grand vide, attirant le voyageur, l'étonne ; Sollicité par Dieu, j'ai des éclairs d'effroi !
Mais lui, par son vertige il ne surprend personne : On trouve naturel qu'il pâlisse et frissonne ; Et moi, j'ai l'air d'un fou ; je ne sais pas pourquoi.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Dim 1 Oct - 7:37 | |
| Les Dieux Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les épreuves (1866). Sonnet.
Le dieu du laboureur est comme un très vieux roi De chair et d'os, seigneur du champ qu'il ensemence ; Le dieu de son curé règne aussi, mais immense, Trois fois unique, esprit, fils et père de soi ;
Le déiste contemple un pur je ne sais quoi Lointain, par qui le monde, en s'ordonnant, commence ; Et le savant qui rit de leur sainte démence Nomme son dieu Nature et n'en fait qu'une loi ;
Kant ne sait même plus si quelque chose existe, Et Fichte, usurpateur du temple vide et triste, Se divinise afin qu'un dieu reste debout.
Ainsi roulent toujours, du néant aux idoles, Du blasphème aux credo, les multitudes folles ! Dieu n'est pas rien, mais Dieu n'est personne : il est Tout.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mar 3 Oct - 7:35 | |
| Le signe Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les solitudes (1869). On dit que les désirs des mères Pendant qu'elles portent l'enfant, Fussent-ils d'étranges chimères, Le marquent d'un signe vivant ;
Que ce stigmate est une image De l'objet qu'elles ont rêvé, Qu'il croît et s'incruste avec l'âge, Qu'il ne peut pas être lavé !
Et le vœu, bizarre ou sublime, Formé dès avant le berceau, Comme dans la chair il s'imprime, Peut marquer l'âme de son sceau.
Quel fut donc ton cruel caprice, Le jour où tu conçus mon cœur, Ô toi, pourtant ma bienfaitrice, Toi qui m'as légué ta douleur ?
Quand tu m'aimais sans me connaître, Pâle et déjà ma mère un peu, Un nuage voguait peut-être Comme une île blanche au ciel bleu ;
Et n'as-tu pas dit : « Qu'on m'y mène ! C'est là que je veux demeurer ! » L'oasis était surhumaine, Et l'infini t'a fait pleurer.
Tu crias : « Des ailes, des ailes ! » Te soulevant pour défaillir... Et ces heures-là furent celles Où tu m'as senti tressaillir.
De là vient que toute ma vie, Halluciné, faible, incertain, Je traîne l'incurable envie De quelque paradis lointain...
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mer 4 Oct - 7:30 | |
| Les infidèles Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les vaines tendresses (1875). Sonnet.
Je t'aime, en attendant mon éternelle épouse, Celle qui doit venir à ma rencontre un jour, Dans l'immuable éden, loin de l'ingrat séjour Où les prés n'ont de fleurs qu'à peine un mois sur douze.
Je verrai devant moi, sur l'immense pelouse Où se cherchent les morts pour l'hymen sans retour, Tes sœurs de tous les temps défiler tour à tour, Et je te trahirai sans te rendre jalouse ;
Car toi-même, élisant ton époux éternel, Tu m'abandonneras dès son premier appel, Quand passera son ombre avec la foule humaine ;
Et nous nous oublierons, comme les passagers Que le même navire à leurs foyers ramène, Ne s'y souviennent plus de leurs liens légers.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Jeu 5 Oct - 7:41 | |
| Les serres et les bois Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les solitudes (1869). Dans les serres silencieuses Où l'hiver invite à s'asseoir, Sous un jour blême comme un soir Fument les plantes précieuses.
L'une, raide, élançant tout droit Sa tige aux longues feuilles sèches, Darde au plafond, comme des flèches, Les pointes d'un calice étroit.
Une autre, géante à chair grasse, Que hérissent de durs piquants, Ne sourit que tous les cinq ans Dans une éclosion sans grâce.
Une autre, molle en ses efforts, Grimpe au vitrail, et la captive Regarde en pitié l'herbe active Qui tient tête au vent du dehors.
Pas un souffle ici, rien ne bouge ; Toutes versent avec lenteur, À flots lourds, la fade senteur De leur floraison fixe et rouge.
Celui qu'elles charment d'abord, Dans cet air qui bientôt lui pèse, Envahi par un grand malaise, Descend de l'ivresse à la mort.
Ah ! Que mille fois plus aimée La violette, fleur des bois ! Et que plus saine mille fois La chambre qu'elle a parfumée !
Son baume, loin d'appesantir, Allège et fait l'âme nouvelle ; Mais fine, il faut s'approcher d'elle, La baiser, pour la bien sentir.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Ven 6 Oct - 13:56 | |
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| | | Vevette17 Énergéticienne quantique
Messages : 38497 Age : 53 Localisation : charente maritime
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Ven 6 Oct - 17:38 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Sam 7 Oct - 7:04 | |
| Les téméraires Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les épreuves (1866). Sonnet.
Du pôle il va tenter les merveilleux hivers ; Il part, le grand navire ! Une puissante enflure Au souffle d'un bon vent lève et tend la voilure Sur trois beaux mâts portant neuf vergues en travers.
Il est parti. Là-bas, au soleil, dans les airs Traînant son pavillon comme une chevelure, Il a pris sa superbe et gracieuse allure Et du côté du Nord gagne les hautes mers.
D'un œil triste je suis au loin son blanc sillage : Il va sombrer peut-être au but de son voyage, Par des géants de glace étreint de toutes parts !
Et près de moi, debout, l'enfant du capitaine, Dans la brise ravi vers la brume lointaine, Agite dans son cœur d'aventureux départs.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Sam 7 Oct - 14:54 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Dim 8 Oct - 7:24 | |
| Les vieilles maisons Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les solitudes (1869). Je n'aime pas les maisons neuves : Leur visage est indifférent ; Les anciennes ont l'air de veuves Qui se souviennent en pleurant.
Les lézardes de leur vieux plâtre Semblent les rides d'un vieillard ; Leurs vitres au reflet verdâtre Ont comme un triste et bon regard !
Leurs portes sont hospitalières, Car ces barrières ont vieilli ; Leurs murailles sont familières À force d'avoir accueilli.
Les clés s'y rouillent aux serrures, Car les cœurs n'ont plus de secrets ; Le temps y ternit les dorures, Mais fait ressembler les portraits.
Des voix chères dorment en elles, Et dans les rideaux des grands lits Un souffle d'âmes paternelles Remue encor les anciens plis.
J'aime les âtres noirs de suie, D'où l'on entend bruire en l'air Les hirondelles ou la pluie Avec le printemps ou l'hiver ;
Les escaliers que le pied monte Par des degrés larges et bas Dont il connaît si bien le compte, Les ayant creusés de ses pas ;
Le toit dont fléchissent les pentes ; Le grenier aux ais vermoulus, Qui fait rêver sous ses charpentes À des forêts qui ne sont plus.
J'aime surtout, dans la grand'salle Où la famille a son foyer, La poutre unique, transversale, Portant le logis tout entier ;
Immobile et laborieuse, Elle soutient comme autrefois La race inquiète et rieuse Qui se fie encore à son bois.
Elle ne rompt pas sous la charge, Bien que déjà ses flancs ouverts Sentent leur blessure plus large Et soient tout criblés par les vers ;
Par une force qu'on ignore Rassemblant ses derniers morceaux, Le chêne au grand cœur tient encore Sous la cadence des berceaux.
Mais les enfants croissent en âge, Déjà la poutre plie un peu ; Elle cédera davantage ; Les ingrats la mettront au feu...
Et, quand ils l'auront consumée, Le souvenir de son bienfait S'envolera dans sa fumée. Elle aura péri tout à fait,
Dans ses restes de toutes sortes Éparses sous mille autres noms ; Bien morte, car les choses mortes Ne laissent pas de rejetons.
Comme les servantes usées S'éteignent dans l'isolement, Les choses tombent méprisées, Et finissent entièrement.
C'est pourquoi, lorsqu'on livre aux flammes Les débris des vieilles maisons, Le rêveur sent brûler des âmes Dans les bleus éclairs des tisons.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Lun 9 Oct - 7:23 | |
| Les yeux Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Stances et poèmes (1865). À Francisque Gerbault.
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ; Ils dorment au fond des tombeaux, Et le soleil se lève encore.
Les nuits, plus douces que les jours, Ont enchanté des yeux sans nombre ; Les étoiles brillent toujours, Et les yeux se sont remplis d'ombre.
Oh ! qu'ils aient perdu leur regard, Non, non, cela n'est pas possible ! Ils se sont tournés quelque part Vers ce qu'on nomme l'invisible ;
Et comme les astres penchants Nous quittent, mais au ciel demeurent, Les prunelles ont leurs couchants, Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent.
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, Ouverts à quelque immense aurore, De l'autre côté des tombeaux Les yeux qu'on ferme voient encore.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Lun 9 Oct - 14:12 | |
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| | | olia Membre
Messages : 1874 Age : 80
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mar 10 Oct - 7:04 | |
| Le temps perdu Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les vaines tendresses (1875). Sonnet.
Si peu d'œuvres pour tant de fatigue et d'ennui ! De stériles soucis notre journée est pleine : Leur meute sans pitié nous chasse à perdre haleine, Nous pousse, nous dévore, et l'heure utile a fui...
« Demain ! J'irai demain voir ce pauvre chez lui, Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine, Demain je te dirai, mon âme, où je te mène, Demain je serai juste et fort... pas aujourd'hui. »
Aujourd'hui, que de soins, de pas et de visites ! Oh ! L'implacable essaim des devoirs parasites Qui pullulent autour de nos tasses de thé !
Ainsi chôment le cœur, la pensée et le livre, Et, pendant qu'on se tue à différer de vivre, Le vrai devoir dans l'ombre attend la volonté.
René-François Sully Prudhomme. |
| | | Mylène
Messages : 1479 Age : 73 Localisation : Haut de France
| Sujet: Re: poésies choisies pour vous Mar 10 Oct - 14:24 | |
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