Les changements climatiques actuels ont d’ores et déjà des effets ressentis sur la distribution de nombreuses espèces, engendrant d’inquiétantes menaces d’extinction. Pourtant, une étude reposant sur des données récoltées sur le long terme dans une population anglaise de mésanges charbonnières montre que ces oiseaux font preuve d’une étonnante capacité d’adaptation aux augmentations de température.Mésange charbonnière © Darkone License Creative Commons Attribution ShareAlike 2.5 Dans ce dossier, nous verrons comment l’étude de ces mésanges durant un demi-siècle (en utilisant un marquage individuel par baguage) nous a permis de montrer qu’en avançant leurs dates de reproduction de 14 jours en moyenne depuis 1961, les mésanges ont su se recaler sur leurs proies principales, les chenilles, dont la période d'abondance a aussi été avancée de 14 jours.
Biologie de l’évolution et changements globauxUn défi majeur pour les décennies à venir est de prévoir les conséquences des changements globaux sur les sociétés humaines et les écosystèmes. L’impact perturbateur des activités humaines sur l’environnement ne cesse de s’accélérer. Les niches écologiques de plusieurs espèces connaissent des modifications si rapides que la question se pose sur la capacité de ces populations à s’adapter aux nouvelles conditions environnementales.
Bébés mésanges charbonnières © Arnstein Rønning GNU Free Documentation License, Version 1.2Des changements phénologiques ont été récemment démontrés chez plusieurs espèces, mais l’origine évolutive (c'est-à-dire basée sur une variation génétique) ou environnementale (c'est-à-dire une variation plastique, les individus changent leur phénologie en fonction des changements de l’environnement) de ces changements est toujours incertaine. Dans ce contexte, les caractères liés à la reproduction sont particulièrement importants, du fait de leur relation étroite avec la valeur sélective individuelle.
L'étude des réponses au changement climatiqueNotre compréhension de la dynamique évolutive de ces traits en populations naturelles reste pourtant limitée. L’objectif de ce dossier est de développer nos connaissances sur ces processus à travers une approche de suivi individuel, en profitant de la disponibilité de jeux de données à long terme et de pedigree dans des populations naturelles d’oiseaux et de mammifères. L'étude* repose sur les multiples facettes d’une réponse aux changements climatiques (plasticité, microévolution des caractères ainsi que de leur plasticité elle-même) en intégrant les contraintes génétiques et écologiques qui peuvent agir sur ces réponses, comme les corrélations génétiques ou le flux génique entre populations.
Nichoir sur arbre dans une station d'étude en Corse © Anne CharmantierAinsi, même si les objectifs de ces recherches se placent en premier lieu dans un domaine de recherche fondamentale, la compréhension des mécanismes d’évolution dans la nature nous permettra de comprendre, voire de prédire, l’adaptation des populations d’oiseaux aux changements drastiques que connaît leur environnement. L’étude des mésanges et de leurs dates de reproduction face au réchauffement climatique est un exemple qui illustre bien cette démarche de compréhension de l’évolution passée de populations naturelles, pour prédire leur évolution future.
* Charmantier A, McCleery RH, Cole LR, Perrins CM, Kruuk LEB, Sheldon BC, 2008. "Adaptive phenotypic plasticity in response to climate change in a wild bird population".
Science 320 : 800-803.
Les mésanges relèvent le défi face au réchauffementChez les oiseaux, la date de reproduction est un déterminant majeur du succès reproducteur, et donc de la survie de l’espèce.
Aujourd’hui, la capacité des espèces d’oiseaux à s’adapter et à évoluer en réponse aux changements rapides des conditions climatiques est un sujet d’inquiétude pour la communauté scientifique ornithologue, et même dans une plus large mesure pour le grand public.
Adulte quittant le nid avec un ver © Armin Kübelbeck GNU Free Documentation License, Version 1.2 Plusieurs études récentes ont montré que les populations d’oiseaux peuvent répondre aux changements climatiques récents en modifiant leurs dates de reproduction. Les exemples les plus fréquemment illustrés sont l’avancée de la date de ponte, ou bien l’avancée des comportements de migration.
Une possible adaptation de la période de ponte des mésangesLe défi que les mésanges doivent relever est de pondre leurs nichées au moment le plus opportun pour que la période de nourrissage de leurs poussins coïncide avec la période d’abondance de leur nourriture principale, les chenilles.
Or lorsque les mésanges pondent leur premier œuf (par exemple fin mars, début avril), il leur faut "décider" de cette date de ponte pour qu’une fois la ponte terminée (elles pondent un œuf par jour), et la période de couvaison passée (elles couvent leurs œufs durant 14 jours), elles puissent nourrir leurs petits au nid durant le pic d’abondance des chenilles dans leur forêt.
La phénologie des chenilles étant "calée" sur la phénologie des arbres, qui elle-même est fortement déterminée par la température extérieure, les printemps chauds verront les chênes débourrer très tôt et une abondance de chenilles également précoce. Les mésanges qui n’auront pas fait le "choix" de pondre très tôt ne pourront alors pas nourrir leurs oisillons, puisque la fenêtre de temps durant laquelle les chenilles sont disponibles sera passée.
Bouquet de cystes © Anne CharmantierL'étude sur l'adaptation des mésanges doit se faire sur plusieurs annéesUn de nos objectifs de recherche est de comprendre si (et comment) les mésanges peuvent s’adapter au réchauffement rapide des printemps. Cependant, il n’est pas aisé de tester si des changements de comportements en réponse aux changements de l’environnement proviennent d’une plasticité phénotypique ou bien sont la conséquence d’une micro-évolution à déterminisme génétique : chaque individu peut-il ajuster son comportement d’une année sur l’autre en fonction des changements dans son environnement, ou bien l’adaptation se fait-elle par un processus de sélection naturelle ?
Pour répondre à ces questions, il faut suivre des individus dans leur reproduction durant plusieurs années, et c’est ce que nous faisons en étudiant les mésanges bleues en Corse et près de Montpellier.
C’est aussi ce que font de nombreuses autres équipes de recherche en Europe, et notamment celle de Ben Sheldon à l’université d’Oxford, ou les mésanges charbonnières font l’objet d’un suivi individuel depuis 1947.
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