Chimie : des plantes pour remplacer le pétrole
Des experts du monde entier, dont deux Prix Nobel, se réunissent lundi pour préparer cet immense défi.Réussir à remplacer le pétrole par des plantes : de plus en plus de chercheurs à travers le monde valident de nouvelles techniques, des entreprises s'y attellent et des politiques s'en préoccupent. Les défis n'en restent pas moins immenses, qu'ils soient économiques, environnementaux ou sociétaux pour cette branche de la chimie «verte» qu'il est désormais convenu d'appeler la
bioraffinerie.
«On n'en est certes qu'aux prémices, mais il y a déjà des avancées très concrètes, sachant que l'utilisation des auxiliaires vivants est infinie», assure Dominique Dutartre, le président de la société ARD (Agro-industrie Recherche et Développement). Au plan mondial, la chimie végétale représente ainsi un peu moins de 45 millions de tonnes sur 500 millions issus du pétrole. Quant au biodiesel, c'est environ 25 millions de tonnes pour les transports contre 900 millions de gazole.
Réunis à huis clos lundi et mardi à Chantilly (Oise), une quarantaine d'experts venus du monde entier, dont les deux Prix Nobel de chimie français, Yves Chauvin et Jean-Marie Lehn ainsi qu'un grand nombre d'industriels, vont confronter leurs points de vue sur ces enjeux qui ne sont plus vraiment du futur. Des entretiens initiés par le pôle de compétitivité Industries & Agro-Ressources (IAR), créé en 2005, et qui regroupe plus de 200 adhérents. Un grand nombre d'entre eux sont installés en Champagne-Ardenne et en Picardie, deux régions leaders dans le secteur, portées par leur histoire agricole, la betterave sucrière notamment.
Si les trois lettres «bio» accolées au mot raffinerie ou l'adjectif «verte» qui accompagne le mot chimie n'ont pas la même signification que lorsqu'ils sont employés par le grand public qui pense agriculture biologique ou produit biodégradable, ils rappellent bien qu'il s'agit de passer de produits fabriqués à partir du pétrole à des produits issus de végétaux. De la paille, du bois, des algues, des fruits, des fleurs des céréales… Bref, des ressources renouvelables à la différence des énergies fossiles dont l'épuisement se profile. De nouvelles matières premières dont on extrait de l'alcool ou de nouvelles molécules pour l'alimentaire, la cosmétique, la pharmacie…
Les enjeux sont multiples. Il sera bien sûr question, dans ces rencontres, de rentabilité. «Techniquement, on sait faire de l'éthanol à partir de la lignocellulose issue de coproduits agricoles, notamment forestiers», que l'on peut ajouter à du carburant, souligne Benoît Trémeau, le secrétaire général du projet Futurol, un pilote industriel installé dans la bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle (Marne). «Mais aujourd'hui on est à 2 € le litre», ajoute-t-il. Un prix encore trop élevé pour être compétitif.
Des directives restrictivesIl sera également question d'approvisionnement, d'empreinte environnementale et de compétition avec des terres agricoles normalement dédiées à l'alimentation. Vaut-il mieux s'approvisionner localement ou faire venir la matière première d'autres pays comme s'apprêtent à le faire les Néerlandais qui ont installé une zone dédiée dans le port de Rotterdam pour réceptionner des petites plaquettes de bois en provenance d'Europe du Nord ? Faut-il encourager des techniques qui, tout en utilisant du végétal, s'avèrent grosses consommatrices d'énergie dans le procédé de fabrication et émettrices de gaz à effet de serre ? Faut-il enfin autoriser des plantations sur des terres à vocation alimentaire ou prenant la place de forêts primaires qui jouent un rôle essentiel dans le climat mondial et le stockage du carbone ?
«Cela fait très longtemps que l'homme utilise des cultures pour autre chose que pour se nourrir, rappelle un expert. Qu'est-ce que c'était que l'avoine pour les chevaux si ce n'est un carburant ?» «Aujourd'hui, au plan mondial, la moitié des produits agricoles servent à l'alimentation. Le reste est réutilisé mais sous-exploité », renchérit Daniel Thomas, le président de l'IAR. «Ce que l'on essaie de faire c'est de raisonner sur la plante entière», précise de son côté Philippe Tillous-Borde, directeur général de Sofiprotéol . On veut rajouter de la valeur ajoutée à la valeur ajoutée.»
Il n'empêche. «Du fait du retard à l'allumage pour les biocarburants de 2e génération qui ne devraient pas voir le jour avant 2020 ou 2030, il faudra continuer à utiliser de la matière première végétale qui pourrait être utilisée pour l'alimentation», assure Bruno Jarry, membre de l'Académie des technologies. Ce n'est pas un problème pour l'Europe car on pourra le prendre sur nos exportations, mais ailleurs cela peut effectivement devenir un vrai problème.» L'Europe a produit un certain nombre de directives restrictives, notamment en matière environnementale. «Mais les autres pays s'en fichent pas mal ! Attention à ne pas se tirer une balle dans le pied. Tout est dans un juste équilibre», poursuit Bruno Jarry. «Je crois que l'on a de quoi produire beaucoup et mieux, tempère Philippe Tillous-Borde, en améliorant la collecte de la matière première et parce qu'il y a des terres en réserves, notamment en Afrique et en exploitant bien la totalité de la plante.»
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