Colombine Administrateur
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| Sujet: Quelque chose que les économistes pensaient impossible est en train de se produire en Europe Jeu 12 Mar - 12:05 | |
| 10/03/2015 Quelque chose que les économistes pensaient impossible est en train de se produire en Europe
Ce qui n'était qu'une anomalie se répand en Europe : les taux nominaux deviennent négatifs. Autrement dit, les agents économiques sont aujourd'hui prêts à... payer pour prêter. Une situation qui semble absurde sur le principe, mais qui obéit pourtant à un mécanisme logique bel et bien réel. Incroyable mais vrai...
Avant la crise, il était bien admis que les taux nominaux ne pouvaient pas devenir négatifs : non-négativité). Une expression aussi creuse que courante, le "zero lower bound" ou plancher zéro, et un cas pratique, le Japon des années 1990-2000, participaient de ce consensus. Les taux réels peuvent bien "tomber" en dessous de 0% (on ne sait pas bien les calculer et ils n’intéressent pas grand monde), mais pas les taux nominaux. Franchement, quel investisseur achèterait des taux fixes qui lui garantiraient chaque année une perte certaine en nominal, dans un monde où l’illusion nominale règne en maître ? A risque identique, on prend l’actif de plus haut rendement, et il est aisé de choisir entre celui portant taux négatif et un autre qui rapporte 0% ; or, un actif sans plus de risque qu’un Bund allemand mais rémunérant au moins 0, il en existe au moins un : le cash. Pourquoi des agents en viendraient-ils à accepter de payer pour prêter (!) alors qu’ils pourraient simplement "rester liquides" ? Les taux négatifs passaient donc pour une curiosité improbable, sans grand intérêt si nous osons le jeu de mots. Le débat a changé. Les taux nominaux négatifs appartiennent désormais à la réalité quotidienne, concrète, du moins sur le marché des obligations souveraines. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les emprunts d’état allemands remboursables dans 7 ans sont négatifs. Ce basculement progressif de la courbe des taux ne concerne d’ailleurs pas que l’Allemagne puisque la Hollande, l’Autriche, la France, la Belgique, le Danemark, la Suisse, la Finlandais et la Suède sont aussi concernés, sur des maturités de 2 à 5 ans et à hauteur désormais de 1,5 trillion d’euros de dette souveraine. Par contagion, certains emprunts d’entreprise de courte maturité (EDF, Nestlé, Shell, Sanofi, Novartis…) voient eux aussi leurs taux nominaux s’établir en dessous de 0% ! Notons avec perfidie que la France a connu sa 1ère expérience de négativité juste après avoir perdu son rating triple-A, c’est dire à quel point les explications budgétaro-structurelles chères aux économistes de café du commerce n’ont aucune espèce de lien avec la réalité du phénomène. Nous allons très immodestement tenter de comprendre le pourquoi, le comment, et le pour combien de temps. Mais d’abord, n’oublions pas le sous-bassement favorable, la cause adéquate : depuis 1982, l’inflation et les taux vont mano en la mano vers le bas, toujours plus bas La baisse des taux nominaux est un trend long, puissant et commun à tous les pays de l’OCDE, depuis Paul Volcker, vers 1982. Nous n’irons pas jusqu’à parler de "sens de l’Histoire", mais dans un monde où l’inflation est de plus en plus un volcan éteint il n’est pas illogique de voir les taux sans risque dans les parages de 0%, et à partir de ce niveau il suffit d’une pichenette pour entrer dans la négativité. La meilleure façon d’obtenir un climat propice à des taux nominaux fréquemment négatifs est de maintenir un écosystème d’inflation basse et déclinante. Au fond, la négativité témoigne de l’échec de l’inflation targeting contemporain dans de nombreux pays occidentaux, car avec une inflation fermement ancrée à 2%/an il serait probablement impossible d’enregistrer des taux nominaux négatifs. Voilà pour la cause adéquate des taux négatifs. Reste à examiner les causes immédiates. Comme les taux nominaux négatifs apparaissent souvent comme des « erreurs », jouons au jeu des 7 erreurs. Causes immédiates pour l’émergence des taux négatifs : les 7 principaux candidats
1/ La panique Pensons à ces extrêmes constatés au plus fort de la crise, par exemple début 2009 sur les taux US. Dans une période de panique, le courant acheteur de sécurité ne connait plus de limites, surtout si au même moment l’espace des titres considérés comme "sûrs" se réduit comme neige au soleil, et a fortiori si ce segment est très occupé au même moment par des banquiers centraux. L’embouteillage peut temporairement faire sauter la contrainte de non-négativité mais, au fond, il s’agit ici d’une différence de degré, pas de nature : la non-négativité était toujours vue comme la norme en "période normale". 2/ La collatéralisation Les actifs de meilleure qualité ne servent pas que pour eux-mêmes : ils servent aussi de collatéral (c'est-à-dire de garanties sous forme d’actifs transférables) dans des opérations sur d’autres marchés, notamment pour les dépôts de marge dans les transactions de produits dérivés. Or la collatéralisation est d’autant plus coûteuse que les titres apportés sont de moins bonne qualité. Il peut donc être rationnel de payer pour se procurer du double ou triple-A raréfié (en 2007, la Grèce était A et le Portugal AA…) afin de faire des économies dans d’autres opérations. Cet argument de la collétarisation peut être nuancé : d’une part, les autres opérations que nous évoquons ne sont plus aussi nombreuses qu’avant la crise. D’autre part, la BCE a modifié ses règles de collatéral à de multiples reprises, dans un sens plus tolérant, en particulier depuis 2011 (éligibilité de certains actifs RMBS et ABS de bonne qualité, éligibilité aux moins bonnes notations, minoration des décôtes), même si la BCE exige désormais une information prêt par prêt sur les sous-jacents pour toutes les catégories d’ABS. Enfin, son programme d’achat sur les ABS vise aussi à relâcher encore cette pression (contrairement aux ABS américains, nos ABS servent surtout à la collatéralisation depuis 2008). 3/ La fragilité des banques européennes La non-préférence paradoxale pour le cash est aussi l’expression d’un jugement de défiance porté sur les institutions de dépôt, au moins sur celles de la périphérie. Le cash est certes un actif sans risque, puisque l’inflation a disparu. Mais, au-delà de l’actif lui-même, le jugement de "sans risque" devrait voir son objet étendu jusqu’aux institutions auprès desquelles le cash est déposé. Or la santé de ces dernières est sujette à caution : en Espagne, en Grèce et à Chypre au premier chef, mais par voie de conséquence dans toute la zone puisque les systèmes bancaires sont interconnectés. Lordon : "C’est très bien d’avoir du cash actif-sans-risque au chaud quelque part, mais si le quelque part vient à s’écrouler, tout sans risque qu’il soit intrinsèquement le cash se trouvera extrinsèquement volatilisé !". Comme cet auteur le rappelle, il y a une différence entre le cash et les titres déposés auprès d’une institution financière. Même si l’intermédiaire fait faillite, les titres dont il n’est que custodian demeurent l’expression d’une relation de crédit entre un créancier et un débiteur déterminés. La disparition de l’intermédiaire custodian n’atteint pas cette relation qui continue de produire ses effets (versement du coupon, remboursement du principal) après son éventuelle faillite. Il en va autrement pour un dépôt de cash : la monnaie est l’expression d’une créance de son détenteur mais sur toute la société, une créance non assignable, sans débiteur particulier à son autre extrémité.
http://www.atlantico.fr/decryptage/quelque-chose-que-economistes-pensaient-impossible-est-en-train-se-produire-en-europe-mathieu-mucherie-2033519.html
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